IWO JIMA – 19 Février 1945

Iwo Jima , La dernière Boucherie …!

Du 19 février au 26 mars 1945, l’île d’Iwo Jima fut le théâtre de l’une des plus sanglantes batailles du Pacifique. 26.000 Américains furent tués ou blessés pour s’en emparer – soit plus du tiers des effectifs débarqués; l’îlot mesurait à peine 8km de long sur 4km de large. « Cette bataille, reconnaîtra le général Holland Smith, est la plus dure que les Etats-Unis aient livrée au cours des cent soixante-huit ans de leur existence »

Les soldats américains surnommèrent certaines crêtes de sobriquets particulièrement édifiants : Meatgrinder (hachoir à viande), Bloody Ridge (crête sanglante) ou encore Death Valley (Vallée de la Mort). L’imaginaire collectif bénéficia surtout d’une iconographie poignante : la bataille d’Iwo Jima fut immortalisée par un cliché intemporel entre tous, saisissant un groupe de Marines plantant le drapeau américain sur le sommet du mont Suribachi, point culminant de l’île ; ce sera le symbole de cette « autre guerre », celle qui se jouait dans l’infernal Extrême-Orient nippon.

Fait surprenant, l’énorme arsenal de guerre américain (cuirassés, destroyers, porte-avions, chars d’assaut, bazookas, lance-flammes…), butta sur l’incroyable résistance artisanale des défenseurs japonais. Épousant la mort comme leurs frères kamikazes dans le ciel, ceux-ci livrèrent leurs corps aux plus extrêmes sacrifices.

De fait, la stratégie de retranchement nippone fut particulièrement efficace ; les 25 km de tunnels creusés dans la roche, les grottes fortifiées, les nids de mitrailleuses, les postes d’artillerie et le réseau de bunkers bétonnés (ou en rondins de cocotiers) assuraient une défense solide. En conséquence, les soixante-quatorze jours de bombardements préliminaires de l’US Air Force ne causèrent que des dommages minimes. Certains historiens considèrent que l’île fut la zone géographique la mieux défendue de toute l’histoire de la guerre.

Iwo Jima, quel intérêt stratégique ?

Située à plus de 1 000 km au sud du Japon, perdue en plein océan, rien a priori ne prédestinait Iwo Jima (“île au Souffre”, en japonais) à devenir la priorité de l’état-major américain. C’est en vérité la présence d’aérodromes sur son terrain volcanique et sa position géographique, à mi-chemin entre les Mariannes et Tokyo, qui décidèrent les stratèges yankees à la conquérir ; elle servirait alors de base logistique et d’escale aux équipages des bombardiers à long rayon d’action frappant les grandes villes japonaises. Aussi, sa conquête alourdirait les difficultés stratégiques de la flotte aérienne nippone.

 

Le plan de bataille de Kuribayashi, le général commandant la garnison japonaise, prévoyait “une hémorragie graduelle des forces d’attaque ennemies et, en cas de défaite, la défense de chaque recoin de l’île jusqu’à la mort” (in John Costello, La Guerre du Pacifique, ed. 1981). Ce cavalier raffiné ordonna à ses hommes d’attendre que les plages d’invasion soient couvertes de soldats américains avant de tirer (pour les faucher par paquets). Détail notable, il interdit à ses troupes les charges suicides, qu’il jugeait inutiles.

La progression américaine s’avéra lente et chaotique. Preuve de leur détermination implacable, les 22.000 défenseurs japonais jurèrent au nom de l’empereur de tuer au moins dix Américains chacun avant de mourir.

Mont Suribachi

A la pointe sud de l’île, le mont Suribachi est isolé dès le premier jour par les troupes américaines. Il est défendu par 1 200 hommes enterrés dans la roche. Effarés par la sévérité de la résistance, les soldats US  font usage de grenades au phosphore ou de charges de démolition pour déloger leurs adversaires. L’ascension du volcan se révélera particulièrement difficile et meurtrière :

“Les Japonais nous faisaient dégringoler des éboulements sur la tête et notre propre artillerie navale aussi. Chaque casemate était un problème à part entière, une forteresse complexe qui devait être réduite en ruine. Les murs de beaucoup de ces fortifications commençaient par des blocs de béton de plus de 60 centimètres d’épaisseur, consolidés avec des poutrelles de fer. Puis on trouve entre 3 et 4 mètres de roche, couverte de terre et des cendres sales d’Iwo” (témoignage d’un soldat, in Antony Beevor, La Seconde Guerre mondiale, ed. 2012)

 

Après 3 jours d’escalade sanglante, une poignée de soldats parvient à atteindre le toit du mont Suribachi et plante le Stars and Stripes. La moitié des jeunes hommes n’allait pas survivre à la bataille. De son côté, le secrétaire à la Marine, James V. Forrestal, assura dans un accès le lyrisme pénible qu’avec ce drapeau hissé, « l’avenir du corps des marines était garanti pour les cinq cents prochaines années ». Dans les faits, Suribachi n’était qu’une position défensive secondaire, et le pire restait à venir.

Une bataille d’usure

Dissimulés dans les moindres accidents de terrain, les tireurs d’élite japonais semaient la mort partout où ils se trouvaient ; insaisissables, face ruisselante, ils disparaissaient dans les galeries souterraines et réapparaissaient dans le dos des assaillants. Les membres tendres des yankees éclataient à l’improviste sous le feu de ces samouraïs amoureux, ivres de torpeurs assassines. 

 

Les troupes d’invasion payaient au prix fort chaque mètre de terrain conquis. Difficulté supplémentaire, les chars et les engins blindés s’enlisaient dans les dunes de cendres volcaniques. A chaque instant, la nature s’associait à la rage de résistance autochtone, comme si la terre adressait un salut crépusculaire à ses sacrifiés fanatiques.

Paroxysme de la guerre psychologique, la nuit, des groupes de soldats japonais vêtus d’uniformes américains (récupérés sur des cadavres), faisaient irruption dans le camp adverse et semaient la panique. Animalisés par cette étreinte infernale, certains Marines décapitèrent des macchabées japonais et firent bouillir leurs têtes dans l’intention de vendre les crânes une fois rentrés au pays.

 

Malgré le génie tactique des japonais, les Américains parvinrent à s’emparer des deux terrains d’aviation situés dans le centre de l’île, deux des objectifs principaux qui leur étaient assignés ; les unités du génie du Marine Corps s’affairèrent ensuite à remettre en état les pistes pour que les B-29 et autres chasseurs type F6F Hellcat puissent les utiliser. Jusqu’à la fin de la guerre, les bombardiers américains effectueront près de 2 400 atterrissages d’urgence sur Iwo Jima, sauvant ainsi plusieurs milliers de vies alliées.

Résistance fanatique des Japonais

Jusqu’au bout, les Nippons opposeront une résistance acharnée. Les Marines seront parfois contraints de progresser en rampant ; ils arracheront les dernières poches de résistance au lance-flammes ou au bulldozer. À l’image de ses hommes, le général Kuribayashi se cloîtra dans l’héroïsme.

Le 21 mars 1945, alors que tout semblait perdu, il câbla à Tokyo que la résistance persistait :

« Nous n’avons rien mangé, ni bu depuis cinq jours, mais notre esprit combatif demeure intact »

Quelques jours plus tard, il enverra un dernier message radio laconique :

« Tous les officiers et hommes de troupe à Iwo Jima vous disent adieu » (In John Costello, La Guerre du Pacifique, Des origines à Hiroshima, ed. 1981)

La quasi-totalité de la garnison sera réduite à néant ; seuls 50 à 200 Japonais seront capturés vivants et faits prisonniers, pour la plupart des blessés. Le corps de Kuribayashi ne sera jamais retrouvé.

L’amiral Nimitz écrivit par la suite :

« Chez les Américains qui servirent à Iwo, la bravoure la plus extraordinaire était une qualité commune » (cité dans Ronald H. Spector, La Guerre du Pacifique 1941-1945, ed. 1984).

La grande île d’Okinawa fut envahie six semaines après Iwo Jima. Les conquêtes sanglantes de ces deux îles forteresses concourront indirectement à la décision d’utiliser la bombe atomique contre le Japon, à Hiroshima puis Nagasaki. A terme, 110 000 soldats américains furent tués dans le Pacifique, soit près d’un quart des pertes totales des Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale.  

Référence de l'auteur,Jérémie Dardy.

 

 

 

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